De l'aveu

2008

Que se passe t-il pour le sujet, et dans la dynamique de la cure, lorsque s’énonce un « fantasme » - peut être devrions nous dire une production fantasmatique-, soit ce qui s’inscrit dans le manifeste du discours, comme autant de pensées inavouables, ou tout au moins inavouées, exprimées le plus souvent avec réticences, et par là même parfois non sans jouissance.

« Je ne vous ait pas tout dit »..., voilà l’effet d’ouverture qui annonce une révélation. Révéler à l’autre ce qui doit demeurer caché, invisible, tu, avec lequel le sujet, jusque là, se démenait, seul. .. « je ne vous ait pas tout dit....je crois...que peut être, enfin..je me suis peut être trompé de sexualité, enfin..Peut être que je suis homosexuel ? ». L’intonation ne fait pas de doute, il s’agit d’une interrogation. silence. Il attend une réponse, un dire qui viendrait valider ou invalider sa question. Je n’en dirais rien, il n’en sera pas soulagé. M. V me racontera ce rêve, lors duquel il voit deux hommes, étrangement ressemblants, se dire « je t’aime ». Puis il parlera de cet ami, lorsqu’il était adolescent, qui lui frôlait le sexe, « impunément » (il voulait dire « discrètement »). Qui aurait du être puni ? Nous voyons apparaître la dimension de la culpabilité, de la « pensée coupable », et d’une tension surmoïque qui demande à être soulagée. M. V « imagine » parfois qu’il aurait pu répondre aux avances de son ami, malgré le dégoût et l’aversion qu’il ressentait alors. L’image lui vient d’un « autre lui-même » qui pourrait éprouver du plaisir avec... « lui-même ». Voilà un scénario qu’il subit, non sans angoisse, dans la répétition.

Les scénarii fantasmatiques s’énoncent peu, spontanément : c’est qu’ils sont pris d’emblée dans les méandres de la culpabilité et du trauma. La honte, souvent exprimée, serait celle d’avoir à exposer son expression désirante sous le regard de l’analyste. Honte d’avoir à s’y voir, à s’y trouver, d’être pris sur le fait : serait-il donc coupable de désirer ?

Qu’est ce qu’un fantasme ? Une production inconsciente ? Est ce du même registre qu’un rêve, un acte manqué ou un symptôme ? D’une certaine manière oui, en ce sens que cela vient révéler au sujet quelque chose de son désir. Mais encore ? Le fantasme n’est il pas une production imaginaire qui, avec de nombreux effets de parures, de mises en scène, vient voiler et dévoiler, c'est-à-dire rendre perceptible le rapport du sujet à la castration? Pour autant, ce désir qui surgit, s’il se laisse deviner, ne se laisse jamais vraiment attraper. Jeu de voile, jeu de dupe, qui découvre et dissimule tout à la fois, jeu qui trouve son corollaire dans la cure dans le rapport au savoir et dans les effets de transfert.

C’est en renonçant à sa neurotica que Freud met en avant la dimension du fantasme ; le terme, traduit de l’Allemand « Phantasie » renvoie directement à la question de l’imagination. Pour Freud, le fantasme est une mise en scène du désir qui intervient comme médiation entre la pulsion et la réalité, en intégrant la dimension de la perte. S’il distingue les fantasmes conscients et les fantasmes inconscient, ils ne sont pas sans lien : le fantasme « conscient » est une représentation qui, sous l’égide du principe de réalité, vient traduire le fantasme inconscient, qui est au service du principe de plaisir. C’est par les fantaisies exprimées par le sujet que peut surgir un savoir, dans l’analyse, quant aux fantasmes inconscients. (Formulation sur les 2 principes du fonctionnement psychique).

Lacan, en proposant l’écriture du fantasme S<>a , rend compte d’un sujet qui se situe tout à la fois du coté du signifiant, et du coté de la jouissance : barré par le signifiant, il entretient un rapport spécifique, d’inclusion et d’exclusion avec l’objet a, reste d’une jouissance impossible qui permet l’émergence du désir.

L'aveu du fantasme

Pour autant que la psychanalyse vise une forme de « savoir » quant au fantasme, il ne se laisse pas saisir si facilement dans le cadre d’une scène construite et définie, ne serait-ce que parce que l’analysant ne s’y engage pas ainsi. Le plus souvent, les constructions fantasmatiques ont à se découvrir, à se dévoiler, prenant parfois pour le sujet la forme d’un « aveu ».

L’énonciation d’une construction fantasmatique n’est pas sans effet dans le transfert et tout au moins pouvons nous souligner cette dimension de l’aveu, qui apparaît parfois comme un point de butée dans le développement du discours.

Pourtant, Freud, dans « L’écrivain et le fantasmer » dit que l’on préfère avouer ses forfaits plutôt que ses fantasmes Rappelez vous les effets de l’aveu de l’homme au rat, dès la seconde séance de sa cure, tels qu’ils nous sont rapporté par Freud : « (...) ici il s’interrompt, se lève, et me prie de lui faire grâce de la description des détails (...). Il se lève de nouveau et donne tous les signes de l’horreur et de la résistance (...). A tous les moments du récit qui ont une certaine importance, on remarque chez lui une expression étrange, que je ne peux interpréter que comme l’horreur d’une volupté qu’il ignore lui-même » (PUF p. 43-45)

Paul Laurent Assoun relève que la dimension de l’aveu révèle toujours un inavouable, un noyau de l’inavouable qui est la dimension incestueuse du désir, qui est aussi celui du meurtre du père. (1999. L’inavouable inconscient. In Topique 70. P.19)

Si « ca » s’avoue, c’est en tant que les motions inconscientes ont subies un certain nombre de transformation qui leur permettent, un tant soit peu, de prendre forme sur une scène où le sujet peut jouer avec son désir. Il y a une écriture du fantasme que Freud a repéré dans son analyse de la fantaisie « on bat un enfant ». La forme construite du scénario résulte de modifications d’un certain nombre de positions fantasmatiques : « le père bat un enfant haï par moi ; Je suis battue par le père (parce qu’il m’aime) ; un enfant est battu ».

Le plus souvent, c’est en déroulant son discours, et parfois à la faveur d’interprétations, que l’analysant va s’entendre dévoiler ses positions fantasmatiques. Les motions de désir révélées par la parole, les rêves, les actes manqués vont pouvoir s’écrire, se structurer, se mettre en scène, et se constituer en récit, c'est-à-dire que le fantasme va apparaître sous la forme d’une construction qui révèle la dimension désirante du sujet, tout en en masquant l’essentiel. Cette fonction de voile, de masque, qui montre tout en cachant, c’est ce qu’a repéré Freud : derrière l’énoncé, se cache d’autres positions du sujet, moins avouables encore, tellement inavouables qu’il n’y a pas accès.

Sophie de Mijolla fait une différence entre l’aveu volontaire, dans laquelle le sujet maintient une certaine maîtrise de son dire, et l’aveu involontaire qui « peut prendre l’allure d’une véritable castration ». « Comme on le dit en français, « on s’est coupé », et cette mutilation porte précisément sur l’image narcissique que l’on souhaite faire investir par l’autre comme authentique. L’aveu involontaire est doublement blessant : parce qu’il relève d’un pulsionnel que l’on aurait souhaité dissimuler et parce qu’il révèle de la dissimulation elle-même et de son échec final. » (1999. L’aveu. In Topique 70. P. 28)

Une analysante, après avoir énoncée quelques positions fantasmatiques incestueuses pour le moins classique, tenta d’anuler son dire par une formule magique : « non...ce n’est pas ça...plouf plouf ! je recommence » avant de s’inquiéter : « ce n’est pas moi...j’ai du mal à croire que ce soit moi qui dise ça.. ; qu’est ce que vous allez penser de moi ? » Ce qui lui revient du lieu de l’Autre s’articule autour d’une « inquiétante étrangeté » qui la mène sur la voie d’un savoir qui l’angoisse et devant lequel elle recule. Sa position transférentielle dans la cure va s’organiser entre crainte de disparaître, et crainte de s’enliser dans une relation qui n’en finirait pas. Elle imagine que, devant l’insupportable de ce qu’elle énnonce, je pourrais « l’exclure » de mon cabinet, la rejeter, ou au contraire profiter de sa détresse pour la maintenir indéfiniment sur le divan. Elle se demande ce « qu’elle fait là », craint de pouvoir ne plus y être, et se questionne sur « ce que je lui veux ». Ces scénarri de rejet et de quête de l’autre la renvoient à l’idée qu’elle aurait bien pu souhaiter et craindre la disparition de sa mère, et de ses sœurs. Dès lors, elle se retrouve « coupable », dans tout énoncé, coupable d’être là, et des effets de sa parole.

Qu’en est-il de cette culpabilité qui surgit d’être confronté à cette mise en scène de désir où se profile la question de l’interdit et de son franchissement ? L’aveu du fantasme, s’accompagne de mouvements de résistances, de fuite, de honte. Une collègue me racontait qu’à la suite d’un « aveu », une jeune femme n’était pas venue à ces deux rendez vous ultérieurs. Lorsqu’elle a repris contact, elle « avait oublié ». Un véritable « oubli » qui signe la disparition du sujet. Disparition, effacement, ces moments ne sont pas rares et rendent compte d’un temps où le sujet vacille. Nous y reviendrons. Il vacille...non pas de son activité de fantasmer, mais du fait que, d’en parler, quelque chose de son rapport au désir, et à la jouissance lui est renvoyé du lieu de Autre. C’est à se demander si les résistances dans la cure ne sont pas, in finé, résistances à l’évocation du fantasme.

Si l’on reprend avec Lacan le déroulement du fantasme « un enfant est battu », il est repérable que la culpabilité surgit là, dans le deuxième temps du fantasme dont Freud précise qu’il est inconscient et n’apparaît qu’en tant que « construction dans l’analyse ». Elle surgit du dévoilement du désir oedipien qui « nécessite » que le sujet se fasse battre par le père, en un corps à corps qui tend à faire fi de l’interdit, en une inéluctable attirance pour la jouissance. (les formations de l’inconscient 12 février 58)

Lacan , dans ce même séminaire, dit que « le sentiment de culpabilité apparaît à l’approche d’une demande sentie comme interdite parce qu’elle tue le désir ». Si le fantasme, en soutenant le désir, fait barrière à la jouissance, il entretient dans le même temps un rapport de connivence avec elle. La culpabilité surgirait de l’émergence d’une jouissance imaginaire qui se refuse à désigner le manque et viendrait voiler la castration symbolique. Dès lors, peut on poser que le fantasme est également défense contre le désir en ce sens qu’il s’agirait d’exhorter, imaginairement, le réel du corps jouissant ?

Les moments de sidération ne sont pas rares, qui laissent le sujet sans voix, sans mots, comme absent de lui-même. « Je ne sais pas...je ne sais plus..je ne sais plus ou je suis heu.. ; je voulais dire où j’en suis ». « Ou je suis ».C’est effectivement de ça dont il s’agit, de ce moment où le sujet a à se reconnaître comme manquant, à se situer par rapport à l’objet de son désir, à se départir d’un corps jouissant. C'est-à-dire qu’il s’agit d’une confrontation avec le moment où il vacille pour avoir à se situer comme sujet désirant, confronté à la castration.

Le sujet de l’énonciation se retrouve à avoir à s’entendre, parfois dans un insupportable de ce qui s’énonce, de ce qui lui échappe, et lève le voile. La construction fantasmatique, en tant qu’elle s’impose au sujet, comme une forme constituée dont il est à la fois créateur et spectateur passif, vient révéler l’angoisse, dans un rapport nostalgique à une jouissance traumatique, souligné par le sentiment de culpabilité.

Si l’on part de l’idée que le fantasme, lieu de culpabilité, s’avoue sous l’égide du surmoi, l’énonciation, en le satisfaisant peut apaiser la tension et règler momentanément un conflit. Ainsi parfois, le sujet s’enlise dans un soulagement d’avoir pu « le dire ». « Tout est dit », les associations s’arrêtent, la parole se vide : l’interdit est dit, franchit, et se confond avec le désir. S’arrêter là, avec le sujet, reviendrait à réduire la démarche analytique à une dimension de confession, ou à une dimension cathartique. Or il s’agit, non pas d’ « absoudre » le sujet de ses pensées coupables, ou de lui permettre de « décharger » une tension insupportable, mais de considérer que s’exprime quelque chose qui a à être dévoilé, au-delà même de l’aveu.

De l’aveu au désaveu

PLA souligne que avouer peut devenir un moyen de déliter le fantasme, c'est-à-dire de le fixer et de neutraliser l’inavouable. Avec l’émergence de l’angoisse de castration, vont pouvoir s’articuler dans le transfert un certain nombre de positions qui témoignent du rapport du sujet avec son désir, et avec sa jouissance. Lorsque l’angoisse est trop grande, l’aveu volontaire est une solution qui s’offre au sujet, nous l’avons vu, pour se dégager d’une culpabilité en lien avec une effraction de jouissance.

Il est une position, qui s’apparente à une récusation, voire à un désaveu. C’est à dire que l’aveu peut porter en son sein la marque du désavoeu, dans une dimension perverse qui renvoie à la structure du fantasme, et qui se transpose sur la scène tranférentielle en cherchant à convoquer la jouissance de l’analyste.

L’énonciation se pose alors en acte qui modifie l’écriture du fantasme en a <>S. L’analysant interroge, dans le transfert, l’analyste en position de Autre, en se mettant en lieu et place de l’objet a. Il guette ainsi, quête ainsi, les manifestations d’angoisse qui pourraient émerger et satisfaire sa quête de jouissance.

Intriguée, dans la réalité, par une voisine dont par ailleurs il ne sait pas si l’homme qui vit avec elle est son amant ou son fils, et à la faveur d’une dispute de voisinage, il est surpris par une scène érotique qui s’impose à lui, dans laquelle il la séquestre, l’attache, puis l’étrangle. C’est un renouveau dans son théâtre fantasmatique où habituellement, une femme est attachée, offerte. La scène revient régulièrement, sans qu’il ait le sentiment qu’il l’invoque. Elle lui rappelle une scène du dernier film d’Hitchkok, dont le dernier plan s’arrête sur les pieds de la femme étranglée, dont le mouvement évoque tout à la fois la jouissance et la mort à venir.

Cette position, qui présente une dimension sadique, va trouver son pendant dans la relation transférentielle : Il la relate avec une banalisation de l’angoisse, une passion du détail, un dénuement de l’affect, et une prédominance de l’image, qui ne sont pas loin de me sidérer. Il s’inscrit dans une logorrhée auto érotique qui ressemble à un discours fétiche, en résistance aux associations et à l’élaboration, il envahit l’espace de la cure par un discours sans perte, hors rapport au savoir, qui met l’analyste non plus dans une place de sujet supposé savoir, mais dans une place de sujet supposé jouir.

Il faudra du temps pour que cette écriture manifeste d’une haine qui prend forme dans le fantasme : « je veux l’attacher, la tuer, la faire jouir », trouve à se transformer en « je veux me détacher, mais cette séparation équivaut à me détruire ». Il lui faudra passer ce temps ou il « se figure que l’Autre demande sa castration » (Ecrits Dialectique du sujet P.307), et se départir de cette tentative de recréer dans le transfert, une maîtrise imaginairement perdue, pour accéder à un temps où il peut s’approprier cette demande imaginaire et s’inscrire lui- même dans un désir de séparation.

Michel Lehman, reprenant la lecture que fait Lacan du fantasme « un enfant est battu », souligne qu’il y a deux phases antérieures à l’écriture fantasmatique telle que l’a déployée Freud. Une première, rend compte « du temps du narcissisme primaire où, indifférencié, l’enfant est fixé à une image idéale (...) représentation primitive de l’enfant roi ». Une seconde, qui est le temps de la déchéance, où s’effondre la position antérieure de toute puissance. C’est le temps de la haine et de l’envie pour un sujet qui se crée sur fond de manque. (Du fantasme dans son rapport au manque. In les nouvelles écritures du fantasme II. Analyse Freudienne Presse)

Pour le dire autrement, le sujet se crée désirant, d’être marqué du signifiant, c'est-à-dire que le fantasmer s’origine dans les enjeux de la séparation, dans un temps de dessaisissement où il a à se créer. Les différentes créations fantasmatiques viennent tenter de répondre aux mystères que rencontre le sujet, et qui font « troumatisme », déchirure dans son savoir. Une des réponses, qui peut s’inscrire dans un mouvement synchronique de l’écriture du fantasme, peut être un moment de désaveu, de la séparation, de la castration, qui inscrit le sujet du coté de la jouissance imaginaire, dans une tentative de se dégager de la dimension symbolique qui désigne le manque.

Quand l’image de la sphère privée s’impose sur la scène analytique, voici le rapport au désir qui se découvre, lascivement, mais sûrement. Ce « voir », « s’y voir » est ce qui vient faire trauma. La dimension traumatique peut ressurgir là, dans cette parole ou s’énonce, et se laisse voir, malgré le sujet, son rapport au manque. Si la fonction du fantasme est de colmater l’émergence du réel, le jeu de voile ne peut-il confronter le sujet à cet indicible de la jouissance, hors signifiant ?

Si Freud s’est dégagé de la théorie d’un traumatisme dans la réalité, au profit d’une théorie du fantasme inscrite dans une réalité psychique, il n’en reste pas moins qu’il s’agit, dans le rapport du sujet avec son désir, d’y faire avec un Réel qui menace de se découvrir. L’énonciation, et le dévoilement des positions fantasmatiques du sujet renvoient à un temps où il s’est senti disparaître, chanceler, confronté au manque dans l’Autre, et à sa propre castration.

Déployer l’écriture des productions fantasmatiques, non seulement telles qu’elle se présente dans un énoncé, mais aussi telles qu’elles s’actualisent dans la relation de transfert, renvoie à des temps différents, qui sont autant de suppléances à un savoir manquant. En ce sens, la démarche de l’ « aveu » ne vient elle pas interroger l’Autre en tant qu’il est « supposé » : supposé savoir, jouir, désirer..., et par là même révéler au sujet ce qu’il en est de la structure de son désir ?