Qu’est-ce que le travail bien fait ?

2016

Le sentiment de mal faire, l’inquiétude du bien faire interviennent fréquemment dans le rapport du sujet au travail. Les patients en difficultés ou en souffrance au travail ont parfois ce doute, de faire du mal travail tant celui-ci n’est pas reconnu. Ils en viennent à douter de leur capacité à bien faire.

Quand le travail est accompagnement des plus fragiles qui majore l’asymétrie et confronte à la souffrance, le désir de bien faire n’est pas sans angoisse et sans doute.

Mais qu’est-ce que, vraiment, un travail bien fait ? Quelques éléments rapides pour se repérer et réfléchir.

De l’objectivité à l’engagement des subjectivités

Qu'est-ce qu'un travail bien fait ? A quelles normes répond un travail dans son processus ou dans son résultat ? La dimension objective du travail, se repère dans le travail prescrit et du résultat visible du travail, en tant qu'il est repérable dans les processus d'évaluations et comme objet final de production.

Les normes de productions, peuvent permettre de rendre compte du résultat d'un travail (objet-production) au regard d'étalons déterminés en amont. Cependant ce résultat visible, palpable ne peux rendre compte de l'ensemble des processus, individuels et collectifs en jeu dans le travail, ni même de la « qualité » du travail fourni. Celle-ci est à repérer dans une définition du travail qui prend en compte la mobilisation de l'intelligence, les dimensions individuelles et collectives du travail et l'importance d'une reconnaissance qui porte sur le « travailler » plus que sur le résultat, mais qui vient le soutenir.

Le travail, tel qu'il est définit par Daumezies et repris par C. Dejours, résulte de mobilisations subjectives individuelles et collectives pour faire face à ce qui n'est pas prévu par l'organisation, par ce qui vient empêcher un déroulement théorique ou prescrit.

La dimension subjective

La situation de travail est à repérer comme un espace-temps lors duquel tout sujet, pris ou non dans un collectif, est engagé, use de son intelligence et de son ingéniosité. Pour faire face à l’inattendu, à ce qui n'est pas prescrit, à ce qui échappe, à ce qui contraint, il va faire appel à ses ressources internes, inventer, déployer de l'ingéniosité. Il investit sa personnalité dans les situations de travail.

Il y a pour chaque sujet un enjeu dans son rapport au travail qui dépasse la nécessité d'un moyen de subsistance : il s'agit de trouver sa place dans le champ social, de trouver une issue à ses pulsions qui lui permette de s'inscrire socialement et de soutenir son identité professionnelle. Le travail est un lieu ou il va trouver à exprimer sa subjectivité et de l'enrichir dans des situations socialement reconnues.

Travailler nécessite un engagement physique et psychique : de mobiliser son intelligence mais aussi sa créativité face au Réel du travail (le plaisir au travail, c'est quand travailler devient trouvailler- Dejours). Il faut donc pouvoir considérer, lorsque nous parlons du travail, à la fois les contraintes objectives, le réel du travail et le processus qui permet de soutenir le sujet pour lui-même et pour son implication dans les situations de travail. Nous verrons que ce processus, qui permet de transformer la souffrance inhérente à la confrontation aux contraintes du travail en plaisir, inclut la reconnaissance et doit pouvoir s'appuyer sur l'intelligence collective et une activité déontique.

La dimension collective et coopérative : un enjeu de reconnaissance

L'entreprise, l'établissement ou le service est un lieu de rapports sociaux, institués par l'organisation du travail (organigramme) mais non uniquement : il s'y joue des relations lieu de conflits, de solidarités de créations communes qui permettent que se construisent l'identité professionnelle par le jeu de la reconnaissance , et de soutenir le travail bien fait.

La situation de travailler ensemble nécessite que se mette en place des coopérations, des coordinations inscrites dans des savoirs-faires collectifs. Les règles de travail communes, au-delà des prescriptions et normes propres aux métiers et à l'organisation du travail, se construisent dans l'expérience même du travail. Il s'agit de pouvoir faire collectif dans un vivre ensemble mais également dans le partage de règles communes.

Le travail participe à la construction subjective de l'individu dans son rapport avec le monde et avec les autres : il s'agit pour chacun de pouvoir occuper une place à laquelle il sera légitime non seulement par lui-même, mais également du regard porté par les autres.

Cette nécessité de la reconnaissance à été soulignée par Christophe Dejours qui la définit selon deux jugements : le jugement d'utilité (porté par l'usager, l'acheteur, la hiérarchie.) et le jugement esthétique porté par les pairs selon deux dimensions, la conformité aux règles de métiers et la singularité.

Ainsi la subjectivité au travail est expérience singulière mais aussi collective. Le réel du travail est réel de la tache de travail mais aussi expérience de la résistance de l'autre et du monde social. Pour que le travail puisse se faire, il y a nécessité de coopération (au-delà d'une coordination prescrite qui peut, par ailleurs, soutenir les possibles coopérations). Elle sera permise par des accords stabilisés des membres d'un collectif sur la manière de travailler. C’est la fonction déontique.

Des espaces pour penser

Pour travailler collectivement il faut pouvoir parler du travail. Ce peut être informel (vive les machines à café et les interstices !) mais il est opérant d’avoir des espaces spécifiques de compréhension des difficultés, de délibération et de ré-élaboration commune des règles. Nous sommes dans la mobilisation d'une intelligence collective qui vise, à partir d'échanges sur le réel du travail, à trouver des compromis entre les styles, besoins, références différentes, de façon à les rendre compatibles.

Aussi le collectif participe de la reconnaissance car il permet de donner sens aux difficultés rencontrées, de les partager mais également d'oeuvrer ensemble à un travail bien fait selon des normes et des règles définies collectivement. L'activité déontique permet à chacun de contribuer et d'être reconnu par tous, et à tous de soutenir la qualité du travail en delà des normes qualités objectives (mais non nécessairement en contradiction avec elles).

Les efforts, les difficultés, les trouvailles et les réussites, les pratiques de travail visant la résolution des soucis et empêchements, cette mobilisation subjective et collective non mesurable ni exprimable dans les reportings (pas même par le document unique des risques professionnels) permet donc que se finalise, concrètement, un projet du bien faire.